L’hémochromatose héréditaire se présente souvent comme un problème rhumatismal

Posted April 9th, 2015 by webadmin

La clé est une plainte inexpliquée localisée à l’arrière-pied non-expliquée

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Par le Dr. Henri A. Ménard, Professeur de médecine et Rhumatologue, Centre de santé de l’Université McGill, Montréal, et conseiller médical à la Société Canadienne de l’Hémochromatose

 

 

 

Ma conviction la plus profonde en tant que rhumatologue est que les patients ont toutes les questions ainsi que toutes les réponses. Dans un hôpital universitaire, mon travail de clinicien – chercheur (médecin, enseignant et chercheur) consiste à identifier dans les livres et en laboratoire, à partir des indices que donnent les patients, des éléments exploratoires de réponses.

L’hémochromatose héréditaire (HCH) est actuellement comprise comme une accumulation de fer qui progresse lentement, qui est génétique, et qui entraîne des défaillances au niveau des organes. Les manuels de rhumatologie décrivent l’arthrite HCH comme un type d’arthrite dégénérative qui progresse lentement, i.e. l’ostéoarthrite (OA), qui touche les jointures (la deuxième et la troisième) auquel s’associe un dépôt articulaire de cristaux de pyrophosphate de calcium di-hydraté (DCPC) dans des endroits (par exemple dans les jointures) autres que les poignets, le pubis et les genoux.  Les manuels mentionnent aussi que les phlébotomies n’aident pas l’arthrite HCH. La plupart des médecins ne pensent pas particulièrement à l’HCH lorsqu’ils voient des nouveaux patients souffrant d’OA. En fait, je n’ai jamais sauf peut-être une fois, posé un diagnostic d’HCH fondé sur des symptômes généraux, vagues et précoce de rhumatisme.  À l’opposé, j’ai rapidement émis un diagnostic d’arthrite HCH sur des patients qui m’avaient été référés, ces patients savaient qu’ils étaient atteints de l’HCH. Ce n’est pas de la bonne médecine. Étant donné ce que nous savons, cette partie du manuel concernant l’ostéoarthrite doit être réécrite, pas seulement le texte mais aussi conceptuellement.  Qu’est-ce qui m’a amené à changer d’idée?

Le changement a commencé à se faire à cause d’une patiente atteinte de l’HCH que j’ai eu le privilège de soigner il y a environ dix ans. Son mari devait aller travailler aux États-Unis et toute sa famille devait passer  une évaluation générale de santé. À l’exception d’un problème ennuyeux à la cheville, elle était apparemment en santé. Les résultats des tests sanguins ont dévoilé des niveaux élevés de fer sérique, un pourcentage élevé de la saturation de la transferrine, une ferritine sérique élevée et des mutations du gène HFE. Bien que le résultat des tests liés à la fonction du foie ait été normal, une biopsie du foie confirma un début de cirrhose. On a entrepris des phlébotomies régulières jusqu’à ce que le niveau de ferritine soit  normal pour au moins un an. Les phlébotomies ont été arrêtées puisque la ferritine demeurait normale. Tout au long de cette phase, le pourcentage de la saturation de la transferrine demeurait à la limite de la normale ou était de façon intermittente légèrement élevée. Elle se plaignait de plus en plus de douleurs aux chevilles. Cette douleur était directement liée à son arrière-pied, plus précisément l’articulation sous-astragalienne – pas la cheville en soi (voir figures A et B). Elle insistait pour dire que la cause de sa douleur était l’HCH. Parce qu’aucun DCPC n’étaient identifiés et parce que le pied arrière n’était pas mentionné dans nos manuels, j’hésitais à être d’accord avec elle! Plus maintenant!

Figure A

Figure A.

 

Figure B

Figure B. Complaintes provenant de l’arrière-pied chez deux patients distincts: chez le patient A, arthrite HCH de l’articulation sous-astragalienne allant de légère, modérée à sévère (entre l’astragale et le calcanéum); chez le patient B, arthrite HCH très avancée de l’articulation de la cheville (entre les os du tibia, du péroné et de l’astragale).

 

Environ au même moment, en Australie, le Dr. Graeme Carrol constatait qu’il était fréquent de localiser tôt la présence d’arthrite HCH à l’arrière-pied et ce même chez les patients ayant la mutation HFE H63D (souvent appelée la mutation silencieuse) et un niveau de fer normal. Depuis, j’ai entrepris systématiquement  de faire passer le test pour l’HCH pour toutes les plaintes inexpliquées associées à l’arrière-pied.  Peu après, j’en suis devenu un fervent défenseur, après avoir joué au golf avec une personne avec qui je n’avais eu aucune interaction sociale auparavant. Pendant que nous marchions sur le parcours, cette personne boitait de façon intermittente. Lorsque je lui ai demandé pourquoi?, elle me  répondit : «à cause de ma cheville» mais ni lui ni moi ne pouvions en trouver la raison. J’ai invité cette personne à me visiter à mon bureau pour clarifier tout cela. Je ne voulais surtout pas l’inquiéterpuisqu’elle se sentait bien de façon générale.  Son arrière-pied semblait tout à fait normal sur les radiographies. Avec son accord nous avons fait les tests. Les résultats des tests de laboratoire ont été positifs pour  tous les marqueurs biochimiques et génétiques de l’HCH : fer et ferritine élevés, une saturation de la transferrine de 99 pourcent et les mutations du gène HFE C282Y homozygotes. Bien que cette personne semblait apparemment en santé, elle accepta d’entreprendre des phlébotomies à toutes les semaines. Deux ans plus tard, cette personne suit un programme de maintien chez Héma-Québec, sur une base trimestrielle. Six mois après que son niveau de fer eut été corrigé, ses douleurs au pied-arrière ont disparues et elles ne sont jamais revenues. De plus, «il se sentait en meilleure santé et avec beaucoup plus d’énergie, plus que pendant un long moment», il se sentait assez en forme pour jouer au golf et marcher 9 des 18 trous quotidiennement et ce à 69 ans!

En se concentrant sur les douleurs au pied-arrière, nous avons facilement trouvé de nouveaux patients atteints des mutations HFE H63D. Pour la plupart, les radiographies étaient tout à fait normales – pas d’OA et pas de dépôts de cristaux. Néanmoins, dans certains cas, c’était la toute première et la seule plainte subjective, Cela signifiait que nous pourrions nous servir de ce trait clinique pour prédire la présence de mutations HFE avant que des maladies et des dommages sérieux ne se développent. Cela signifiait aussi qu’il y avait une possibilité qu’avec les phlébotomies, lorsque nécessaires, on puisse empêcher les maladies liées à l’HCH. De plus, cela suggérait que la surcharge de fer n’est pas le seul effet des mutations HFE. Nos constatations ont été présentées à la rencontre 2011 de l’American College of Rheumatology (ACR) à Chicago. Elles ont été soulignées par les organisateurs comme une des nouveautés de ce meeting.

Depuis, nous avons recueilli des éléments permettant d’expliquer pourquoi l’arrière-pied est ciblé. Des expériences de laboratoire reproductibles et contrôlées suggèrent que les mutations HFE ne causent pas seulement la surcharge de fer. Les mutations H63D peuvent être silencieuses du point de vue du fer mais elles semblent loin de l’être quand on parle de son effet sur les cartilages ainsi que sur d’autres maladies. Étant donné l’impact potentiel de ces découvertes sur la population en général, nous avons avancé prudemment pour confirmer et reconfirmer les données de laboratoire. En 2012, notre première demande pour obtenir des fonds de recherche fut refusée. Cela arrive souvent lorsque les idées sont nouvelles ou à contre-courant. Pour réaliser et répéter les expériences en laboratoire, nous avons utilisé des fonds prévus pour d’autres projets de recherches. Nous étions d’avis que c’était un investissement productif et grâce à des données préliminaires à l’appui, nous avons l’intention de présenter une nouvelle demande pour des fonds en 2015.

L’indice clinique de l’arrière-pied fut confirmé à Boston lors de la rencontre 2014 de l’American College of Rheumatology. Le Dr. Patrick Kiley de Londres a envoyé un questionnaire à 1,300 membres de la Société de l’hémochromatose du Royaume-Uni  et a constaté que l’arrière-pied était le plus fréquemment impliqué et ce souvent bien des années avant l’obtention d’un diagnostic de HCH biochimique ou génétique. Remarquablement, très peu, sinon aucun des diagnostics n’avaient été posés par des rhumatologues. Ces derniers reconnaissent seulement l’arthrite des patients dont il est connu qu’ils sont atteints de l’HCH, habituellement ces patients sont référés par des spécialistes du foie, i.e. les cas avancés où les phlébotomies ne sont pas très utiles pour les douleurs aux jointures. Somme toute, il semblerait que tout comme moi, il y a dix ans, les rhumatologues ne sont pas beaucoup plus au courant que les médecins généralistes du fait que souvent l’HCH présente au début une condition rhumatologique (arrière-pied) qui affecte de façon importante la qualité de vie. S’ils reconnaissaient ce fait, un diagnostic précoce ou même un diagnostic avant que la maladie ne se manifeste pourrait être fait et un traitement approprié pourraient éviter les troubles occasionnés aux organes. Cela aiderait aussi à identifier les porteurs du gène HFE qui ont un profil ferrique normal qui pourraient être de bons candidats pour participer à des recherches supplémentaires sur les possibles impacts des mutations HFE.